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Mercredi 12 juin 2024
Gaël Musquet a consacré la majeure partie de sa vie professionnelle à la lutte contre les catastrophes naturelles. Son approche ? Un savant mélange de matériel et de logiciel libre, de pragmatisme et d’intelligence de terrain pour diffuser une culture du risque au sein des populations les plus exposées. Et une conviction centrale : face au changement climatique, nous n’avons plus le luxe d’attendre un consensus général dans un futur lointain. Pour chaque territoire, le travail d’adaptation commence ici et maintenant.
Qu’est-ce qui vous a conduit à embrasser la carrière de météorologue ?
Gaël Musquet : Je suis né en Guadeloupe en 1980 et très jeune, j’ai été confronté à la catastrophe. En 1989, la Guadeloupe est ravagée par l’ouragan Hugo. Avec ma famille, nous devons évacuer au beau milieu de l’œil du cyclone pour nous réfugier chez des voisins. Ce n’est qu’au lever du soleil, après l’accalmie, que nous avons constaté l’ampleur des dégâts. La maison, sortie de terre à peine un an auparavant, était déjà partiellement détruite. À ce moment-là, mon père nous a regardé et nous a dit : « personne n’est blessé, on est tous en vie, on est assuré, ne vous inquiétez pas, on va tout réparer ». J’avais neuf ans et cet épisode m’a marqué. Et je dis bien marqué, pas traumatisé, justement parce que mes parents étaient prêts. Ils étaient assurés et avaient la chance de jouir d’une certaine sécurité financière, mais surtout, ils nous avaient préparé à faire face, ils nous avaient conditionnés. Bien plus tard, je suis devenu météorologue parce que je voulais devenir chef de station météo en Guadeloupe et, à mon échelle, permettre aux populations des Caraïbes de traverser ce genre de catastrophes.
Aujourd’hui, vous vous définissez comme un « hacker éthique ». Qu’est-ce que cela veut dire ?
G. M. Je suis spécialisé dans la conception de capteurs météo. Mon truc, ce sont plutôt les instruments de mesures que les modèles prévisionnels ! C’est ce qui m’a conduit à devenir hacker (parce qu’entre nous, je rajoute « éthique » derrière « hacker » pour dissiper les malentendus liés à l’image sulfureuse du hacker cybercriminel). Mon métier au quotidien consiste à atteindre un objectif par tous les moyens possibles et imaginables, ce qui implique souvent de détourner du matériel et des logiciels de leur usage initial, les faire fonctionner différemment… Or, c’est exactement ça, être un hacker ! Les définitions sont nombreuses, mais celle que je préfère est celle du Chaos Computeur Club : le hacker, c’est celui qui doute. Comme je ne fais pas confiance aux machines et que j’ai besoin de comprendre comment elles fonctionnent, c’est plus facile pour moi, sur des phases de prévention et d’urgence, d’adapter des systèmes d’information et des capteurs pour prévenir, informer, former et alerter des populations confrontées à une catastrophe naturelle. C’est aussi quelque chose qui me vient de mon identité d’insulaire, que j’emporte partout avec moi, même en métropole. Quand on se retrouve sur une île, à plus de dix mille kilomètres de Paris, comment fait-on ? Dans les territoires d’outre-mer, être capable de se débrouiller seul pendant quelques heures, quelques jours, voire quelques semaines sans aide extérieure, c’est vital. On a encore pu le constater lors de la tempête Irma à Saint-Martin en 2017 : quand les réseaux électriques tombent et emportent avec eux les réseaux de télécommunications, on se retrouve très vite seuls au monde…
Vous voulez dire que face aux aléas, les populations insulaires sont mieux préparées que leurs homologues continentales ?
G. M. Oui, il y a une culture du risque dans les territoires insulaires qu’on ne retrouve pas sur le continent. C’est que les gens, dans les îles, ont l’habitude d’être acteurs de leur propre territoire. Les sécheresses, les cyclones, les épidémies de dengue, de zika ou de chikungunya, y sont monnaie courante. Face au réchauffement climatique, les territoires insulaires sont à la fois des sentinelles et des laboratoires.
Comment cette culture que vous évoquez se traduit-elle en pratique ?
G. M. Du fait de la configuration particulière du territoire, les gens se connaissent. Ils ont intégré qu’en cas de problème, il vaut mieux chercher de l’aide chez le voisin qu’attendre qu’elle arrive de Paris. Il y a une tradition de l’accueil, de l’hospitalité qui amène une forme de bon sens. On compte d’abord sur le village, et surtout sur la cellule familiale. C’est cette dernière que l’État cible en priorité dans les pays latino-américains – insulaires ou non – pour communiquer sur les risques naturels et les crises. Même chose au Japon, et ça marche. Pourquoi ? Parce que c’est la façon la plus simple pour s’organiser, informer, former et alerter sa population en temps et en heure, pour pouvoir faire face à un risque. Au Chili, on est capable d’évacuer plus d’un million de personnes en 45 minutes en cas d’alerte au tsunami. Nous serions incapables de faire la même chose sur le pourtour méditerranéen, à Marseille, à Carry-le-Rouet, à Cannes et à Nice, qui sont toutes des villes à risque. C’est un principe consacré par le cadre d’action de Sendai(1) : il faut que les citoyens se rendent responsables de leur sécurité et de celle de leur entourage. Vous habitez dans une zone inondable ? Pas moyen d’y couper, vous allez devoir apprendre à l’évacuer dans les temps. Mais pour que les habitants puissent vraiment jouer leur rôle en cas de problème, encore faut-il qu’ils aient été sensibilisés au risque et qu’ils aient participé à des exercices de simulation. Quand un séisme ou un tsunami survient, on a peu de temps pour réagir. Avoir acquis les bons réflexes au préalable, dans certaines situations, c’est une question de vie ou de mort…
Mais les pouvoirs publics n’ont-ils pas malgré tout un rôle central à jouer dans un contexte de montée des périls ?
G. M. Oui bien sûr ! Mais vous savez, la France est un pays un peu schizophrène en matière de gestion du risque. Demandez aux Français qui doit intervenir en cas de catastrophe, ils vous répondent généralement « l’État » ou « les collectivités ». Demandez-leur s’ils font confiance à l’État, et la réponse est plutôt « non »(2)… Quelque chose cloche ! C’est que la puissance publique va devoir repenser ses modes d’intervention. Comme le dit justement Jean-Marc Jancovici, les élus vont devoir apprendre à faire « la pédagogie des problèmes plutôt que la pédagogie des solutions ». Et ça, ça change tout. Parce que c’est facile – et surtout tentant – de faire de grands discours en période électorale en donnant l’impression d’avoir la solution à tout. C’est vendeur, mais c’est faux. La nature est en train de nous rappeler à l’ordre et les débats polarisés sur le réchauffement climatique ne nous aident pas à nous organiser collectivement. Penser au long terme, c’est très bien, mais nous n’avons pas le luxe d’attendre de nous mettre tous d’accord. Est-ce qu’on ne pourrait pas déjà commencer à dire aux gens ce qu’ils doivent faire déjà pour demain, pas dans 20 ou dans 30 ans, mais pour passer l’été prochain, les sécheresses, les feux, les tsunamis, les tempêtes, les tornades, et tout ce qui va nous impacter… ?
Le constat n’est pas franchement réjouissant, surtout pour les plus jeunes…
G. M. Si vous avez entre quinze et vingt ans aujourd’hui, vous êtes quotidiennement submergé d’informations négatives. Et cela s’en ressent sur l’état psychologique de beaucoup de jeunes. À leur âge, je me croyais immortel… Aujourd’hui, à mon échelle, je m’efforce de transmettre ma passion à la génération qui vient au travers de mon engagement associatif. C’est en suscitant des vocations – c’est mon intime conviction – que la bonne information et les bonnes consignes remonteront par les enfants chez les parents et les grands-parents et que les populations adopteront les bons réflexes face aux catastrophes.
(1) Document de référence des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe.
(2) Cf. Baromètre BPCE Assurances des changements de vie [Lien vers Baromètre 2024]